Interview de Coralie David

Coralie David mène actuellement une thèse traitant du jeu de rôle. Elle m’a proposé de répondre à un questionnaire, comme bon nombre d’auteurs ou acteurs du milieu (retrouvez la compilation des interviews sur le site de Jérôme Larré (Brand).

Comment définiriez-vous votre métier ou votre activité dans le JdR ?

Je parlerai plutôt d’une activité en ce qui me concerne, car je pioche sur mon temps libre pour écrire. J’ai donc une activité d’auteur et scénariste. Auteur pour la partie écriture proprement dite, formuler les choses, agencer ses idées, arriver à transmettre des ambiances par le texte. Scénariste car dès ma première participation à un jdr professionnel (Trinités), j’ai été confronté à l’écriture de scénarios, et l’exercice m’a plu. Concevoir un univers de jeu, c’est aussi prévoir son évolution, la manière dont les joueurs vont influencer le jeu et mettre en mouvement tout ce qu’on a créé.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire Krystal ? Un thème, un genre, une commande d’éditeur ? Quels étaient vos objectifs lorsque vous avez créé ce JdR ?

Ce qui m’a motivé à écrire Krystal, c’est la rencontre entre le thème post-apocalyptique et mes goûts personnels pour les univers non sombres. J’apprécie beaucoup les jeux de rôles Nephilim, Prophecy et Trinités, pour leur magie, leurs mystères et le rêve qu’ils proposent. Depuis quelques années, je trouvais le thème post-apocalyptique inspirant. Cependant, dans toutes les œuvres que j’ai pu lire, voir ou les jdr qui se sont emparés du thème, l’aspect le plus important est la difficulté à survivre au quotidien sur une Terre dévastée.
Avec Krystal, mon premier objectif était de proposer un jeu post-apocalyptique optimiste. Utiliser le post-apo comme un décor, et offrir une expérience de jeu liée à l’aventure, au voyage, à la magie.

Mon deuxième objectif était de proposer un jeu dans lequel on incarne des héros, aimés du peuple et capables d’être placés à de hauts niveaux de responsabilités, afin de mettre les joueurs face à des dilemmes. C’est un niveau de jeu plus adulte, très intéressant lorsqu’on joue en campagne car les joueurs doivent ensuite assumer les conséquences de leurs décisions.

Comment s’organise-t-on lorsque l’on travaille sur une gamme aussi prolifique que Trinités, qui accueille beaucoup d’auteurs ?

Pour Trinités, l’équipe est gérée par le chef de gamme. Au départ Franck Plasse (aussi créateur du jeu), puis Sébastien Célerin. Le chef de gamme prépare la table des matières, avec un nombre de page précis alloué à chaque chapitre. Ensuite, il répartit les textes entre les auteurs.

Parfois, il y a peu de communication inter-auteurs, car les thèmes traités par chacun sont indépendants. C’était le cas du Livre V, ma première participation professionnelle à un ouvrage de jeux de rôles. Dans ce Livre, j’avais des consignes et n’avait pas de visibilité sur les autres textes en cours d’écriture.

D’autres fois, nous avons dû faire un vrai travail d’équipe et de coordination. Notamment pour les campagnes : le Livre VI (qui est une réécriture libre d’une campagne parue dans Casus Belli : le Réseau divin), Le Livre IX (une campagne sur le thème du roi Arthur) et le Livre XI (dont une partie présente un labyrinthe de scènes interconnectées). Au niveau de l’organisation temporelle, chaque auteur a des délais à respecter. Généralement chacun s’y tient, et en cas de problème prévient le chef de gamme, qui répartit le travail restant à d’autres auteurs. Au final, cela demande une certaine dose de réactivité, et la capacité à savoir prévenir lorsqu’on ne tiendra pas ses délais.

Lorsque vous écrivez un JdR ou participez à un supplément pour une gamme déjà existante, qu’est-ce qui vous inspire en premier lieu ? Le système ? L’univers ? Le type de personnages que les joueurs interpréteront, les scénarios potentiels, ou est-ce toujours différent ? Un mélange de ces éléments ?

Cela dépend vraiment des jeux. Si je participe à l’écriture sur un univers, c’est généralement parce que l’univers m’inspire, parce que le type de scénarios me plait ou les questions que pose le jeu me semblent intéressantes.

Pour Tenebrae par exemple, les scénarios sont rapides à prendre en main et proposent de l’action et un contexte facilement identifiable. C’est plaisant car rapide à cerner et écrire dans cet univers est relativement facile.

Dans Trinités, l’univers m’a plu et c’est la raison pour laquelle j’ai rejoint l’équipe d’auteurs. Si j’ai continué si longtemps dans l’aventure, c’est parce que Trinités a perdu son aspect manichéen pour des teintes de gris. Cela permet de poser des questions intéressantes : jusqu’où peut-on aller au nom de ses idées ? Peut-on justifier tous les actes ? A-t-on le droit de faire le bien au détriment du bien-être de certains ? Quelle légitimité a-t-on, au-delà de celle qu’on se donne ?

Comment définissez-vous un système de JdR ? Quel est son rôle ?

Il est difficile de définir un système de jdr. Certains se font discrets, ils n’ont pas un grand rapport avec l’univers et le style de jeu. C’est le cas notamment des systèmes génériques, comme Chaosium ou le D6 System. D’autres, tout en restant classiques, amènent des éléments propres à l’univers. C’est le cas de Trinités avec le choix entre deux dés (Lumière ou Ténèbres), Prophecy avec les trois dés de tendances philosophiques, et bien d’autres jeux. Enfin il y a les systèmes spécifiquement conçus pour l’univers et qui se mêlent à l’expérience de jeu. Ces systèmes participent à l’immersion car ils sont indissociables du jeu. Je pense à Tenga par exemple avec sa création de groupe, ou Apocalypse World qui type clairement les personnages jouables et propose un système de résolution tourné vers l’improvisation. Au final, pour synthétiser, je dirai qu’un système de jdr permet de déterminer l’issue des évènements ou des actions imprévisibles. Son rôle est de servir d’arbitre.

Comment définissez-vous le roleplay ?

Pour ma part, je définis le roleplay comme l’interprétation de son personnage. Cela implique de parler à la première personne lorsqu’on décrit ce que notre personnage accomplit, et de parler en utilisant les répliques qu’utiliserait notre personnage, en restant cohérent avec ses pensées et son comportement. Cela contraint de jouer certains types de personnages : ceux que l’on se sent d’interpréter. Pour moi le roleplay permet de vivre plus intensément une partie de jdr, de ressentir des émotions fortes, comme la tristesse, la joie ou la peur. Toutes les parties de jdr ne nécessitent pas de roleplay, mais mes meilleurs souvenirs de parties ont été nourries par le roleplay des participants.

À votre avis, que permet de créer le JdR en termes de fiction, qui n’est pas possible dans d’autres médias ?

En termes de fiction, le jdr permet surtout une liberté de création collective, et donc une immersion plus grande. Lorsqu’on regarde un film ou une série, on est forcé de voir le déroulement, sans pouvoir agir. Les jeux vidéo vont plus loin, en permettant d’influencer par ses choix le déroulement. Les jeux de rôles vont encore au-delà, car il n’y a plus la limite posée par les créateurs du jeu, seule l’imagination compte. Ainsi l’on devient acteur d’un univers imaginaire, avec une emprise dessus et des choix et conséquences à assumer : tout devient possible. Cela mène, je crois, à la possibilité de s’immerger plus intensément dans les aventures que l’on vit au-travers de son alter-ego.

Quelles sont vos campagnes préférées, pourquoi ?

Une de mes campagnes préférée est les Chroniques de l’Apocalypse pour Nephilim. Le premier élément qui a attiré mon attention est la longueur et la densité de cette campagne. Elle mène à des dizaines d’heures de jeu pour former une véritable fresque épique. Le deuxième élément est le format de la campagne. Elle est conçue en cinq tomes, chacun associé symboliquement à un élément (air, eau, terre, feu et lune dans Nephilim). J’aime cet exercice d’écriture qui consiste à créer une campagne qui fasse le tour de tous les éléments, à trouver des scénarios, des intrigues qui correspondent symboliquement à chacun. Enfin, c’est une campagne qui bouleverse l’univers de Nephilim, au-travers notamment d’un final magistral (quoique difficile à mener en tant que MJ), dans lequel les décisions et les manigances des PJ a un réel poids.

Quels sont vos univers de jeu de rôle préférés, pourquoi ?

Nephilim, Prophecy et Trinités, pour leur richesse et leur variété. Chacun de ces univers balaie un large spectre des possibilités d’ambiances. Leur background particulièrement touffu est parfois complexe à cerner, mais cette difficulté est largement contrebalancée par le plaisir de jeu et l’impression d’évoluer, en jeu, dans un univers vaste et cohérent, avec ses propres codes, règles et mystères.

Comment voyez-vous l’évolution du JdR dans le fond et la forme, et d’un point de vue économique au sens large ? (nouveaux modes de financement comme le crowdfunding, modes de distribution, rôle du Net, revues, conventions, etc.) ?

Dans la forme, j’ai l’impression que l’on se dirige vers des jeux qui ne sont pas des gammes-fleuves, mais plutôt vers des livres autonomes, ou des gammes fermées (comme Z-Corps ou Yggdrasil chez le 7e Cercle). L’essor des jeux-campagnes me semble également important, avec les « burst » d’Anthony « Yno » Combrexelle (comme Notre Tombeau, ou Americana) ou encore les Clé en Main des XII singes. Malgré tout je reste pessimiste quant à l’avenir du format papier. J’ai l’impression que l’on se dirige vers la fin des livres imprimés, avec une vente uniquement en PDF, ou vers de l’impression sur demande (avec une qualité moindre).

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